De la ségrégation à la mixité sociale dans les écoles



B. Delvaux (UCL) a étudié les ségrégations résidentielle et scolaire à Bruxelles. Il en ressort que 60 % des enfants sont scolarisés en dehors de leur quartier. 





Capitale de l’Europe, troisième région la plus riche d’Europe et premier bassin d’emploi du pays, Bruxelles n’en demeure pas moins confrontée à de lourds défis socio-économiques : le taux de chômage oscille autour des 20 %; 1 Bruxellois sur 4 vit sous le seuil de pauvreté; l’essor démographique y est important; et 46 % des bébés bruxellois naissent d’une mère non-belge. Conséquence ? "La ségrégation est particulièrement forte à Bruxelles", constate Bernard Delvaux, professeur et chercheur à l’Institute of Analysis of Change in Contemporary and Historical Societies de l’UCL. Or, cette situation n’est pas sans impact sur le secteur scolaire. 



Avec ses collègues de l’UCL Eliz Serhadlioglu et Marie Verhoeven et en collaboration avec la VUB, Bernard Delvaux mène depuis 2011 une recherche sur la ségrégation résidentielle et scolaire à Bruxelles dans l’enseignement fondamental (1). Pourquoi ces deux thèmes ? "Il y a un grand avantage à essayer de resituer les phénomènes scolaires dans un ensemble plus large , explique-t-il, à la fois parce qu’une partie de ce qui se passe au niveau de la ségrégation scolaire est expliquée par la ségrégation résidentielle et parce que si l’on veut augmenter la mixité au niveau scolaire, il faut prendre en compte les phénomènes qui se passent dans d’autres secteurs, notamment le secteur résidentiel." 

Quels sont les premiers résultats de cette recherche ? "On voit une certaine correspondance entre ségrégation résidentielle et ségrégation scolaire car la scolarité maternelle et primaire s’effectue généralement dans l’école de proximité, mais ce n’est pas un pur décalque car la mobilité quotidienne entre en ligne de compte" , rapporte le chercheur. De fait, "plus de 60 % des enfants du fondamental ne sont pas scolarisés dans l’école la plus proche ou l’école de leur quartier de résidence". Les raisons ? "Cela renvoie à tous les critères de choix d’école pour les familles, mais un des aspects qui est pris en compte par une bonne partie des parents est le type de public qui fréquente l’école." 

L’équipe de chercheurs distingue deux types de familles : les familles "immobiles", qui vivent l’essentiel de leur vie dans un quartier et ont une faible propension à déménager; et les familles "mobiles", qui, pour une série de services, vont voir en dehors de leur quartier et sont aussi prêtes à déménager, le plus souvent pour des quartiers plus favorisés que leur quartier d’origine. "On observe, dans les quartiers défavorisés, que ce sont les familles les plus "favorisées" - cela peut-être au plan socio-économique mais aussi culturel - qui ont le plus tendance à scolariser leur enfant en dehors du quartier, précise Eliz Serhadlioglu. On peut interpréter cela peut-être comme une volonté de ne pas vivre au niveau scolaire la ségrégation vécue au niveau résidentiel. Ces familles "mobiles" auront donc tendance à scolariser leur enfant dans des écoles qui ont un indice socio-économique plus favorable que celui de leur quartier." Bernard Delvaux complète : "Pour la majorité de ces familles "mobiles", c’est une mobilité ascendante : elles sont essentiellement en recherche d’univers, d’interactions pour leur enfant qui soient plus mixtes que leur lieu d’origine." 

Par contre, "dans les écoles implantées dans les quartiers plus défavorisés, seules restent les familles les plus défavorisées "immobiles" , reprend-t-il. Ces écoles vont cumuler les handicaps : un turn-over plus élevé des élèves, l’absence d’homogénéité en terme de langue, une plus forte proportion d’enseignants jeunes et non nommés, Et ce bien qu’elles soient aidées par l’encadrement différencié". 

Pour illustrer cette mobilité quotidienne, Bernard Delvaux et ses collègues se sont intéressés à la partie Nord du quartier Nord de Bruxelles. En 2010, 1 520 élèves étaient scolarisés, dans ce périmètre, dans l’enseignement fondamental, dont 49 % étaient inscrits dans l’une des trois écoles fondamentales francophones ou dans l’école fondamentale néerlandophone. 6 % fréquentaient la partie Sud du quartier Nord. Les 45 % restant étaient disséminés dans le reste de Bruxelles, parfois loin du lieu de résidence. 

Enfin, il convient de prendre en considération les dynamiques migratoires tout au long de l’enfance : une forte proportion d’enfants changent de domicile et/ou d’école lorsqu’ils sont en âge d’aller en maternelle ou en primaire. 

A la lumière de ces constats, Bernard Delvaux et ses collègues préconisent deux pistes pour encourager la mixité sociale dans les écoles. 

Primo : les inscriptions scolaires. "Les écoles fondamentales bruxelloises sont concernées par une série de réglementations progressivement mises au point par les différents PO parce qu’ils sont confrontés à la pression démographique et au fait qu’il y a de plus en plus de demandes, y compris dans les écoles qui, auparavant, n’étaient pas plébiscitées, explique le chercheur. On pourrait dès lors se dire‘Créons un décret inscriptions au niveau fondamental’, mais je ne suis pas sûr que ce serait une bonne chose. Par contre, on pourrait essayer d’harmoniser les règles mises en place spontanément par les différents PO . Certains PO ont en effet établi des règles visant à mixer davantage les publics. C’est le cas de la Ville de Bruxelles : depuis l’instauration de ces règles, il y a une certaine tendance à voir un public plus hétérogène dans des écoles qui auparavant étaient élitistes." 

Secundo : l’augmentation de l’offre scolaire en réponse au boom démographique. "Il ne suffit pas de mettre les enfants entre eux pour accroître la mixité sociale, avertit M. Delvaux. C’est aussi une question d’adhésion des équipes éducatives et d’implantation de l’offre. A ce titre, je regrette que les décisions en matière de construction d’écoles, parce que prises en partie dans la précipitation, ne prennent pas assez en compte le défi de la mixité. Or, on pourrait en partie le relever par le biais de choix des implantations d’écoles." 

(1) Financée par Innoviris, cette recherche s’étend sur quatre ans. Elle fait également l’objet, ce vendredi, d’une présentation à la presse lors d’un déjeuner organisé par l’UCL sur le thème "Bruxelles sous la loupe des chercheurs". 



Un article de Stéphanie Bocart dans LA LIBRE BELGIQUE du 14/09/2012